Entretien avec Vlasis Rassias
sur la renaissance du Paganisme en Grèce
Antaios - Revue
d'Etudes Polythéistes, n°11, 1996
Dans la préface de vos trois volumes consacrés à
l'Hellénisme, vous vous définissez comme « Hellen »
(grec). Il ne s'agit pas seulement pour vous d'une
simple appartenance nominale, mais aussi d'un Ethos
et d'une perception du divin. Pouvez-vous préciser
ces notions?
Quand un Païen de Grèce (Ethnikos) parle de la
conception du divin, il s'agit en fait de la
conception du Cosmos: le Tout (Pan) éternel, défini
par mes ancêtres comme « infini mis en ordre »
(Apeiron diatetagmenon). Le Cosmos est l'Etre ultime,
sans début ni fin. Toute chose, Dieux inclus, est née
au sein de cet organisme éternel et universel. Comme
nous le verrons plus loin, cette conception est assez
importante parce qu'elle fonde clairement la
différence entre Polythéisme et Monothéisme.
Parlez-nous un peu de votre évolution spirituelle
et culturelle.
Comme tous mes compatriotes, je suis né au sein de
l'Orthodoxie et j'ai subi le même lavage de cerveau:
Ethos et prêt-à-penser m'ont été imposés par mon
éducation. Toutefois, j'ai eu la chance de posséder en
mon for intérieur un daimôn, une sorte de génie qui
m'a préservé de ces opinions toutes faites. Ce même
daimôn m'a poussé, depuis mon plus jeune âge, à
quitter les sentiers battus de la connaissance. Je me
suis ainsi retrouvé, à l'âge de seize ans, en train de
lire, ou mieux, d'étudier, Nietzsche, Reich, Laing, et
"La Société du spectacle" de Guy Debord. Vers 1980, je
me définissais comme anti-autoritaire, ce que je suis
resté. La rencontre avec un chaman indien m'a permis
vers 1986 non point de voir le monde d'un œil plus
"spirituel" - c'était déjà le cas depuis le début -,
mais de me concentrer sur ma propre tradition grecque.
La leçon de ce chaman était que je ne devais chercher
la sagesse que dans la langue dans laquelle je rêve,
sur le sol même où ma présente incarnation a choisi de
vivre. Après à peine deux ans d'études et de
recherches à divers niveaux, j'en suis arrivé à jeter
sur la tradition hellénique ce que j'appellerais
aujourd'hui un regard "archaïque". J'ai pu également
prendre connaissance d'un pan complètement méconnu de
notre histoire: les persécutions et l'ethnocide subis
par mes ancêtres de la part des Romains christianisés,
que l'histoire officielle nomme "Byzantins" et que la
culture dominante définit comme "Grecs".
Qu'est-ce que le Paganisme pour vous?
J'essaie d'éviter ce terme "Paganistès" en raison de
son sens péjoratif et moqueur. En fait, il s'agit d'un
mot forgé par les Judéo-Chrétiens pour rabaisser tous
ceux qui demeuraient fidèles à leurs propres divinités
ancestrales. La même remarque s'applique par exemple
au terme "idolâtre"... Pour ma part, je préfère user
du mot "Archaiothréskos" (fidèle à l'ancienne
religion) ou encore "Ethnikos" (Gentil ou bien fidèle
aux Dieux, aux traditions et à l'Ethos de mon ethnos,
mon peuple). Quoi qu'il en soit, I'idée de Paganisme
se rattache pour moi à toutes les religions naturelles
et polythéistes de l'espèce humaine. Les peuples
honorent chacun la nature sous certaines formes, dans
toute la multiplicité de ses manifestations et
éléments. Le Paganisme hellénique honore les
Puissances et les Energies de la Nature, à l'instar
des autres religions pré-chrétiennes de l'Europe. Nous
rendons aussi un culte à des "Idées", qui dans notre
vision du monde, sont considérées comme des déités
individuelles, des Dieux, que l'esprit humain prend
comme "enpneuseis" (in-spirées). Nous trouvons donc
dans le Polythéisme hellénique des Dieux et des
Déesses, telle qu'Eunomia, Harmonia, Dikè, de même que
dans le Polythéisme romain, qui fut directement
influencé par le système religieux des Grecs.
Quels sont vos philosophes préférés?
J'éprouve un grand respect pour Empédocle et
Héraclite, ainsi que pour Epictète et les Stoïciens,
pour l'époque plus tardive. Comme tous la autres
Ethnikoi de Grèce j'admire l'Empereur Julien et
Georges Gémiste Pléthon, grâce à qui survécut cette
volonté de retour à l'ancien Ethos, à l'ancienne
Paideia, et ce, du Ives aux XVème-XVIème siècles, et
ensuite jusqu'à nos jours. Si ces hommes n'avaient pas
existé, on peut supposer que la domination de
l'idéologie judéo-chrétienne aurait été totale. Julien
fut davantage un symbole de résistance qu'autre chose:
son règne fut trop court et son assassinat sauva
vraiment le Christianisme du déclin. Un règne plus
long, des individualités hors du commun auraient pu
évincer le Judéo-Christianisme. Mais Julien fut
assassiné et l'Histoire prit un autre chemin... que
nous connaissons bien! Quant à Pléthon, son importance
est énorme, au moins pour nous autres Hellènes. En
fait, Pléthon a constitué le lien entre l'Antiquité et
le monde moderne. La Renaissance en Europe doit
beaucoup à ses textes et à ses idées que ses disciples
exilés de Byzance transmirent à l'Occident.
Que pensez-vous du Christianisme et du Monothéisme
?
Le Christianisme a été un gigantesque stratagème pour
asservir les peuples du monde à l'Ethos judaïque. Il a
surmonté l'obstacle de la non-appartenance au peuple
juif, qui maintenait les Ethnikoi, les Païens, hors
d'atteinte du peuple élu par le Dieu Yaveh. C'est
Paul, dénommé l'Apôtre des Nations, qui fut, à
Antioche, le réel fondateur du Christianisme, et
nullement jésus. Nous pouvons voir aujourd'hui, dans
le monde entier, les effets dévastateurs de cette
duperie. Le monde entier est soumis à une terminologie
à une chronologie et aux fadaises d'un Ethos
judéo-chrétien dominant sans partage là plupart des
nations, qui, presque toutes, ont rejeté l'héritage
pré-chrétien de leurs ancêtres. Certaines
civilisations sont à ce point asservies que même leur
histoire nationale semble commencer avec leur premier
roi baptisé et chrétien! Tous les peuples enseignent à
leurs enfants que leurs ancêtres sont Abraham et
autres Patriarches d'Israël, en un mot des nomades! C'
est insupportable. Aucune nation ne peut exister sans
son ethnologie, sans ses propres cosmologie et
théogonie. (...)
Quant au Monothéisme, la vérité est que le préfixe
"mono" n'a rien à voir avec un quelconque nombre de
Dieu(x). Les prétendus Polythéistes sont évidemment
conscients de l'unité du Cosmos, du grand Tout. De
même, les religions soi-disant "mono"-théistes ne
révèrent pas qu'un seul Dieu. Les Juifs sont
"bi"-théistes et les Chrétiens "tri"-théistes, sans
compter leur légions de saints et d'anges .. qui font
d'eux d'assez bons "poly"-théistes! La vraie
différence entre le Monothéisme et les religions
païennes, polythéistes, réside dans le rapport du ou
des Dieux au Cosmos. Pour la première vision du monde
(Vl. Rassias use du terme "cosmovision", NDT), Dieu
préexiste au monde, qu'il crée ex nihilo. Conception
totalement antiscientifique puisque rien ne peut
jamais être créé à partir du néant. Ce caractère
hautement improbable de la cosmogonie monothéiste,
alléguant l'existence d'un Dieu extérieur au Cosmos et
la création de ce dernier par une entité préexistante,
justifie l'élaboration de la pensée totalitaire. Le
monde est une création de Yaveh. C'est à lui seul et à
ses lois qu'il doit obéir. A tout moment, Yaveh peut
le faire disparaître, selon son bon plaisir. Au
contraire, dans les cosmogonies païennes, tous les
Dieux sont soumis aux lois cosmiques. On a donc dans
la vision du monde monothéiste l'archétype de la
dictature et de la tyrannie, et de même qu'on dit que
"ce qui est en haut est comme ce qui est en bas", de
même on peut comprendre pourquoi les dogmes
monothéistes ont été et restent les fondements de tous
les systèmes totalitaires.
Pouvez-vous expliquer les concepts suivants:
ethnos, Ethnismos, Etinairatos, Ethnikismos?
Je vous renvoie pour les détails à mon dernier livre.
Il est désolant que le lecteur européen n'ait pas un
accès facile à ces textes en raison de l'obstacle
linguistique. Mon essai étudie en effet le sens de ce
préfixe "ethno", ainsi que les relations des concepts
qui en dérivent avec l'Ethos pré-chrétien européen
d'une part, avec l'Ethos judéo-chrétien de l'autre.
"Ethnos" ne signifie pas "nation" au sens
contemporain, mais bien, au sens archaïque, société
organisée selon un Ethos particulier à un peuple
spécifique. Dans ce livre, je critique le nationalisme
(Ethnikismos) en tant que phénomène purement
judéo-chrétien; je propose à tous les peuples un
retour aux antiques traditions ancestrales, aux voies
et aux comportements propres à chacun. Aux antipodes
de la culture, de la religion et des coutumes
allogènes de l'ère vulgaire, qui, depuis des siècles,
ont maintenu nos traditions sous une chape de plomb.
Vos Dieux et vos Déesses tutélaires?
Je vis une relation fort familière avec Zeus et
Apollon. Je suis incapable de vous dire, par un
discours construit, pourquoi il en est ainsi. C' est
plus une impression , une émotion qu'un concept
intellectuel. Outre le culte régulier que je leur
rends, j'ai honoré Zeus en rédigeant un livre dédié à
ce Dieu, où j'étudie ses six cent vingt-sept
épithètes. C'est à ma connaissance l'étude la plus
fouillée sur Zeus. Si les Dieux le veulent, ce livre
sera publié, en grec, au mois de janvier 1997.

Athènes, Octobre 1996. Reproduit
avec l'aimable autorisation
de la revue ANTAIOS -
Copyright ANTAIOS, 1996
|